Jean PONS Moureou, qui s’était retiré dans le Gers à Sempesserre, avait des affaires
à traiter dans le canton de Massat en Ariège. Pour passer ces quelques jours, il
s’était rendu chez son fils François dans la demeure familiale à Mouréou, un
des quartiers du village du Port.
Ce matin même, s’étant rendu à Massat, il en
avait profité pour rendre visite à Moussu Léon au sujet d’une cure à Ax.
Devant la porte, les enfants des Milletat et des Bourrou jouaient à la guerre devant l’ancien militaire. Ils chevauchaient des chevaux imaginaires et armés de bouts de branches en guise de sabres s’élançaient en hurlant au devant d’ennemis invisibles, des prussiens disaient-ils.
Profitant de la fraîcheur bienfaisante qu’apportait l’eau vive du
Courtignou en cette fin du mois de juin, Jean s’assis sur une grosse pierre et
son bâton posée sur ses genoux il interpela sa belle-fille, ma grand-mère, qui
à l’ombre, raccommodait quelques vêtements : « Écoute-moi
Jeanne, tu vois ces maïnaches (*1) ils s’amusent à la guerre, ils
disent charger comme à Reichshoffen, mais s’ils savaient …. Arrête ton
ouvrage ma belle-fille et viens prêt de moi ; maintenant que l’on nous
honore, nous les anciens, en évoquant cette bataille sous le nom de Reichshoffen,
j’ai besoin de raconter ce j’ai vu et vécu là-bas en Alsace à Froeschwiller,
Woerth, Reichshoffen, Niederwald et surtout, pour mon régiment, le 9ième
cuirassier, à Morsbrönn lieu réel de cette bataille.
Tout
d’abord il faut que je t’explique un peu ce qui se passait là-bas. Vois-tu, depuis plusieurs jours d’une lutte
constante mais vaine, notre armée bat en retraite. Les Prussiens se sont
regroupés et très vite avancent ; dans quelques heures seule la route de
Dieuze sera libre pour évacuer l’armée de Mac Mahon qui compte 45 000 hommes. Pour
rassembler, regrouper, préparer la retraite il faut compter un temps
considérable que le Prince Héritier Frédéric de Prusse, fort de ses 130 000
hommes mettra à profit pour nous anéantir et de là, envahir la France. Pour
gagner du temps et permettre à la 4ième division de battre en
retraite, il faut aller au devant de l’ennemi, le stopper en l’obligeant
d’engager la bataille. Pour cela la cavalerie composée des 1ier, 2ième,
3ième, 4ième, 8ième et 9ième
cuirassiers, puis le 3ième hussards, les 11ième chasseurs
à cheval, les 2ième et 6ième lanciers, auxquelles viennent
s’ajouter les troupes pied : les chasseurs, l’infanterie de ligne, les
zouaves, les turcos, des batteries de mitrailleuses(*2) et d’artillerie sont
chargés de faire obstacle aux prussiens.
Ce samedi 6 août 1870, en Alsace, dans un vallon entre Niederwald et Eberbach près de Woerth, la journée se lève maussade, nuageuse ; déjà vers les 7 heures des tirs d’armes légères et d’artilleries sont perçus. Le Maréchal des Logis transmet les ordres : le temps presse, seuls les cavaliers se préparent, les hommes à pied, chevaux de trait, cantines (*3), bagages restent sur place sous la protection d’éléments du 4ième peloton.
Ce samedi 6 août 1870, en Alsace, dans un vallon entre Niederwald et Eberbach près de Woerth, la journée se lève maussade, nuageuse ; déjà vers les 7 heures des tirs d’armes légères et d’artilleries sont perçus. Le Maréchal des Logis transmet les ordres : le temps presse, seuls les cavaliers se préparent, les hommes à pied, chevaux de trait, cantines (*3), bagages restent sur place sous la protection d’éléments du 4ième peloton.
Les chevaux sont nerveux, rapidement abreuvés
et nourris ils sont harnachés ; puis chacun d’entre nous s’affaire pour ne
rien oublier et malgré l’estomac noué, tacher de manger un morceau de pain et de
boire un peu d’eau. Pendant un long moment les chevaux sont tenus à la bride en
attendant la transmission des ordres.
Vers
les 13 heures, le trompette, malgré sa blessure aux lèvres et deux dents
cassées, causée suite à un écart de son cheval en plein galop alors qu’il jouait
pour transmettre les instructions, sonne le rassemblement du 9ième,
suivi en cela par celles du 8ième puis des lanciers.
Assis
sur mon cheval, mon casque et ma cuirasse bien ajustés mais quelque peu crispé,
je ne peux m’empêcher dire à voix basse : « A Diou que danne que fay aqui ? e de tout aco que tire un maïchant
numéro !» (*4).
Notre
chef, le colonel Waternaud, prit sa place, présente le 9ième au
général Michel lequel se dirige ensuite vers le 8ième, commandé par
le colonel Guiot de la Rochére et enfin vers les deux escadrons du 6ième
Lanciers aux ordres des capitaines Lefèvre et Pouet. Il reçoit les honneurs puis s’adresse à nous tous ; trop
loin, je ne saisi que quelques bribes : « Mes enfants …sans vous
l’armée est perdue...nous allons bousculer ces prussiens….la bataille sera
rude….le salut de la France …. vos familles…. sont entre vos mains…. Régiment
…garde vous…sabre à la main …en avant... »
Ce
fut pour moi un moment terrible, dans un piétinement formidable les 1 100
cavaliers en ordre de bataille s’ébranlent, le 8ième en tête, nous
derrière, puis enfin les deux escadrons du 6ième, au pas d’abord, puis rapidement
au trot et très vite au galop ; nous sommes presque botte contre botte
comme pour mieux nous unir, nous soutenir, nous protéger devant l’inconnu. Nous
crions ou plutôt nous hurlons, pour faire fuir l’adversaire ? Je ne le
crois pas, peut-être chasser notre peur car lorsque l’on hurle l’on ne pense à
plus rien ; j’entends même des : « vive l’empereur ! »
et « vive la France ». Plus nous avançons, plus nous nous rapprochons
de l’ennemi moins nous réfléchissons : oubliés balles, obus percutants,
lances acérées, sabres, un seul but bousculer, renverser, anéantir le prussien !
Devant
nous le flanc de la colline est couvert de houblonnières, de champs de lin, de blé
qui n’a pu encore être fauché, de vergers avec leurs pommiers bas, un peu comme chez nous, de quelques vignes mais
également de prés avec des souches recouvertes d’herbe qui représentent autant
de pièges dangereux pour notre charge. Les dents serrées, cette question me vient
à l’esprit : « Macarel, mais
pourquoi les officiers n’ont pas fait repérer ce terrain mortel par des
patrouilles ? Ah ! Milo Dious,
pour nous punir si on ne les salue pas, ça ils savent le faire ! ».
Tout
est rapidement dévalé mais à quel prix ! Dans les vignes des fantassins en
embuscade nous tirent, sur la terre lourde et grasse nos lourds chevaux
glissent entrainant dans leurs chûtes cavaliers et d’autres chevaux ; dans
les vergers biens des nôtres sont jetés à terre, désarçonnés par les branches
des pommiers, le pire : le premier escadron de mon régiment est mis hors
de combat en se précipitant au galop du haut d’un champ dans un petit chemin profond
en contrebas ! Malgré les tirs nourris des fantassins et des obus
percutants ou à balles qui causent des pertes dans nos rangs, très vite la
charge se rapproche de Morsbrönn.
La
grosse partie de notre régiment derrière le lieutenant-colonel Archambault de
Beaune appuie sur la droite et brusquement se trouve face à plusieurs
bataillons de l’infanterie prussienne dont une compagnie de pionniers ;
devant notre masse déferlante ils n’ont pas le temps de se former en colonnes
d’attaques mais rapidement se regroupent et forment le carré. Il parait solide,
impénétrable, le premier rang, arc-bouté, avec ses longues baïonnettes, dresse
un mur hérissé, le second rang nous pointe de ses fusils (5*), le troisième prêt à
son tour à tirer dès la salve du second. Soudain un nuage gris s’élève du
carré, aussitôt un crépitement assourdissant suivit de chocs, d’impacts, de
ricochés sur nos cuirasses, mais aussi de sang et de cris. La fumée s’élèvent,
je distingue un grand nombre de chevaux qui passent comme des ombres sans
cavalier, d’autres, leurs malheureux maitres un pied pris dans un étrier sont
trainés et tels des corps désarticulés rebondissent sur tous les obstacles; le
pire, c’est cette douloureuse rumeur faite de cris, de râles, de gémissements, d'hennissements qui s’élève du sol ou jonchent hommes et chevaux … Nous nous
reformons poursuivi par la mitraille et aussitôt, plein de hargne, nous
repartons à la charge.
Des
camarades, enfonçant les éperons, font sauter leurs chevaux par-dessus ce mur
de baïonnettes pour retomber dans les lignes prussiennes ; puis par de
larges moulinets de leurs longues lattes creusent des vides chez l’ennemi, créant
une certaine désorganisation dans ses rangs avant que ne s’écroulent leurs
montures ensanglantées ou éventrées. Profitant de ce relachement, avec d’autres
camarades, couchés sur nos chevaux, sabrant de droite, de gauche nous arrivons
à pousser nos chevaux entre les colonnes ennemis et leur causer grand dommage.
Par trois fois nous avons enfoncé le carré, par trois fois nous nous sommes
retirés, chaque fois hélàs moins nombreux. Deux fois j’ai eu un cheval tué sous
moi. Comme nous l’avions appris à l’exercice, l’important pour sa survie est de
ne pas rester démonté. Grace à une énergie inconnue, insoupçonnée devant le
pire mais aussi par chance, j’ai toujours pu, malgré mes bottes et ma lourde
cuirasse(*6) qui limite les mouvements, vivement me dégager, courir sous
les balles, sauter par-dessus des corps, sans perdre mon sabre grace à sa
dragonne, éviter les autres cavaliers, chercher, saisir par la crinière un
cheval affolé, et réussir à me hisser sur son dos puis repartir vers l’enfer.
Je
me souviens de nos grands sabres rouges de sang jusqu’à la garde, je revois des
camarades avec des balafres, les yeux pleins de sang s’essuyer en riant d’un
air féroce ; d’autres rient bruyamment comme s’ils avaient fait une bonne
farce ; de mon côté je cherche des visages amis de mon peloton mais hélàs,
personne, tous sont couchés là-bas, pour eux tout est fini, pour nous tout est à
recommencer.
Mais
vois-tu, le plus impressionnant c’est le regard des hommes que nous combattons,
regard si rapproché lors des contacts que nous y voyons le reflet du nôtre et pouvons
y lire nos propres sentiments de peur, de colère, de haine, de méchanceté,
d’imploration mais aussi curieusement parfois de compassion (c’est si facile
d’appuyer un peu plus ou un peu moins avec le sabre !).
Ces furieux coups de boutoirs ont anéanti les pionniers qui cèdent et battent en retraite pour se réfugier dans les vignes et houblonnières. Le trompette sonne le ralliement, rapidement, mais sous les obus nous reprenons notre chevauchée. Déjà nous voici aux abords de Morsbrönn et y accédons par un chemin encaissé ou la mitraille des fantassins cachés au-dessus se fait plus violente. Plusieurs des nôtres sont arrêtés net dans leur élan, d’autres glissent lentement sur le dos de leurs montures puis soudain roulent et tombent.
Ces furieux coups de boutoirs ont anéanti les pionniers qui cèdent et battent en retraite pour se réfugier dans les vignes et houblonnières. Le trompette sonne le ralliement, rapidement, mais sous les obus nous reprenons notre chevauchée. Déjà nous voici aux abords de Morsbrönn et y accédons par un chemin encaissé ou la mitraille des fantassins cachés au-dessus se fait plus violente. Plusieurs des nôtres sont arrêtés net dans leur élan, d’autres glissent lentement sur le dos de leurs montures puis soudain roulent et tombent.
Couchés
sur l’encolure de nos chevaux, le regard fixe, le sabre en avant nous nous
engouffrons dans la grande rue ; de chaque ouvertures, fenêtres, portes, un
fusil est pointé et fait feu, la rue se rétrécie, l’on n’y voit plus rien
cependant des cris, des hurlements, des crépitements incessants font penser
qu’un drame se déroule un peu plus haut mais une courbe nous bloque la vue.
Sans ralentir nous la dépassons, puis de suite une seconde et là nous nous
écrasons sur nos camarades bloqués par un obstacle, en effet des charrettes et
quelques autres objets placés en travers de la rue obstruent la sortie du village.
Le crépitement continu des fusils nous assourdit
et nous affole, ils nous fusillent à bout portant, si prés que parfois la
tunique brûle autour de la plaie. Les hommes hurlent, les chevaux hennissent,
ruent, piétinent les malheureux au sol, d’autres sautent sur le dos d’autres
chevaux comme voulant s’échapper de cet enfer mais blessent les cavaliers. Je
vois des hommes à terre levant la main comme voulant se protéger des sabots des
chevaux, d’autres malgré leurs blessures tentent de se lever. Bloqués par
d’autres chevaux dans cette rue et tournant en rond sur place sous la mitraille,
l’horreur est d’entendre des craquements et des cris de suppliciés lorsque nous
piétinons nos camarades, hélàs dans ces instants chacun ne pense qu’à sauver sa
peau. Une nouvelle fois mon cheval est tué. Par grande chance je réussi une
fois de plus à me dégager et dans la bousculade me saisir d’un autre.
Chacun
d’entre nous fait ce qu’il peut, sabre çà et là dans les fenêtres lorsqu’un
coup de feu part ou au hasard dans chaque recoin. Dans la bousculade arrivent
maintenant les lanciers ajoutant à la confusion. Nous tournons comme au
carrousel cherchant une issue pour échapper à cette pluie mortelle mais tout
est bloqué. Dans cette bousculade les lanciers sont gênés par leurs lances et en
les manœuvrant blessent au visage bon nombre des nôtres par les extrémités des
hampes. Cependant ils sont d’une grande efficacité pour débusquer les tireurs à
l’étage et peu à peu l’intensité des tirs s’apaise. Enfin des hommes démontés
ont réussi courageusement à dégager le passage, aussitôt nous pouvons nous
libérer de ce piège.
Alors que les coups de feu ont pratiquement cessés à la sortie du village nous faisons halte à l’abri d’un petit bosquet. Nous pouvons nous retrouver, nous reconnaitre, nous compter. L’horreur ! Un tout petit nombre de cavaliers, quelques petites dizaines, inférieures aux doigts d’une main tout corps confondus, du 9ième il me semble n’en apercevoir que 8. (*7)
Alors que les coups de feu ont pratiquement cessés à la sortie du village nous faisons halte à l’abri d’un petit bosquet. Nous pouvons nous retrouver, nous reconnaitre, nous compter. L’horreur ! Un tout petit nombre de cavaliers, quelques petites dizaines, inférieures aux doigts d’une main tout corps confondus, du 9ième il me semble n’en apercevoir que 8. (*7)
Les chevaux sont harassés, de leurs gueules une
bave mélangée de sang s’écoule, leurs flancs tremblent, nos bras sont lourds,
les poignets et les cuisses nous font mal, chacun a des blessures plus ou moins
impressionnantes, du sang macule nos tuniques mais curieusement personne n’en
souffre vraiment encore. A la vue de ma cuirasse bosselée et percée légèrement
à un endroit, bêtement je me dis : « Jean tu vas faire de la salle de
police pour avoir abimé ta cuirasse et ils vont te faire payer la réparation (*8) ».
Je sursaute car je me rends compte à l’instant que je monte un cheval du 6ième
lancier, « Oh macaniche, il ne manque plus que cela, ça va barder pour mon
matricule » !
Progressivement
nous reprenons nos esprits, commençons à parler, à prendre conscience de la
situation, que nous sommes vivants, le reste…
Quelques
camarades se sont retirés de quelques pas et debout sur les étriers soulagent
leur vessie. Soudain deux s’écrient « ils sont là ! Ils
arrivent ! » Ces mots nous figent mais aussitôt nous reconditionnent,
pas de temps à perdre l’endroit n’est pas propice pour combattre. Un gros
capitaine avec de grandes moustaches étant le plus vieux et le plus haut gradé s’octroie
le commandement. Il nous fait prendre le galop pour essayer de nous soustraire
à l’ennemi, mais nos pauvres chevaux harassés ne peuvent soutenir le train. Le
capitaine nous fait arrêter ; de nous-mêmes nous faisons demi-tour et nous
plaçons en ligne de bataille, prêt pour l’assaut, le capitaine brièvement nous
harangue : « Camarades montrons aux prussiens qui nous sommes … pistolet
en main … pointez … feu ! ».
Ceux
d’en face, des hussards du 13ième, ralentissent et s’arrêtent surpris
devant un tel sursaut et du danger encouru. Le tir n’a pas un grand résultat ;
le capitaine se retourne vers nous, lève son sabre et d’une voie forte
s’écrie : « Vive la France … Sabre en main … Chargeons … ».
Voyant cela, les prussiens éperonnent et s’élancent vers nous pour engager le
combat.
Les
sabres crissent sur les cuirasses, les chevaux soufflent, les lances montent ou
descendent, nos grands sabres s’allongent, des cris s’élèvent, les hommes se
courbent pour piquer en dessous, les chevaux furieux se dressent et se mordent
en hennissant d’un ton terrifiant (*9), des hommes tombent, des
chevaux s’écroulent.
Un
choc violent, je suis renversé, j’ai mal, je vacille, ma vue se brouille, c’est
fini.
Adiou moun païs, adiou moun ariégo, adiou fraïs, adiou parents.
Stehen …. Du bist gefangener…..löst sie te
….
Schnell (*10)
Le contact froid de
l’acier d’une baïonnette sur ma gorge me fait comprendre que je suis toujours
sur terre et même plus précisément allongé sur la terre, le pire à la merci des
prussiens …
Une petite pluie
commence à tomber. Nous sommes en mi-après midi, en moins de deux heures j’ai
beaucoup vécu.
Tu sais Jeanne, au Port le curé Doumenjou nous parlait de l’apocalypse, je n’y comprenais rien moi à l’apocalypse, mais depuis je sais, je l’ai vu, j’y étais, je l’ai subi.
Maintenant
que tu as entendu ce récit, à toi de le transmettre à tes enfants et
petits-enfants. »
Jean
se lève, s’aidant de son bâton fait quelques pas vers le Courtignou, observe une
truite chasser dans l’eau vive, il sait qu’il en mangera ce soir, puis il se retourne,
se rapproche de ma grand’mère qui remarque ses yeux humides et d’une voie
enrouée lui dit :
« Jeanne, sais-tu les mots que j’ai
entendu le plus dans la bataille ? »
« Non
père, répond ma grand’mère, peut-être : vive la France ou mort aux
prussiens »
« Non
Jeanne, non, voilà les mots que j’ai entendu sur tous les tons : hurlé,
crié, ou dans un souffle :
- Mutter !
- Maman ! »
- Maman ! »
Jean
se retourne puis s’aidant de son bâton s’en va en murmurant : « puto
de guerre ».
Henri PARAYRE
Henri PARAYRE
Exposé présenté lors de mes
16/17 ans.
Retrouvé, révisé, enrichi
en mes 70 ans.
NOTES :
1* maïnaches : enfants.
2* Turcos : tirailleurs
algériens. La mitrailleuse de Reffye
utilisée par les Français lors de la Guerre de 1870-1871 était actionnée à la
main. Ce tout nouveau matériel, lourd et mal utilisé ne donna pas les résultats
espérés. Cette arme de 13 mm comportait 25 tubes tirant cinq séries de cinq
balles. Elle tirait 130 coups par minute et portait à 1100 m, pesant 800 kg,
elle était tirée par 6 chevaux.
3* Cantines : pas le bagage
en fer mais le lieu où l’on pouvait se restaurer moyennant quelques monnaies,
et à la cantine souvent il y a une cantinière.
4* A Diou que danne … : Juron typiquement ariègeois et particulièrement
utilisé dans le massatois. Que fay aqui… : « que fais-je ici ? Et tout cela parce que
j’ai tiré un mauvais numéro » ! A l’époque la conscription
fonctionnait par tirage au sort : numéro impair : bon pour le
Service, pair dispensé. Il arrivait ainsi que certains malchanceux vendent à
quelques malheureux leur infortune. En ce qui concerne mon arrière-grand-père
voici ce que rapporte le papier traitant de « la position de l’homme sous
le rapport du recrutement » : jeune
soldat appelé de la classe 1866 n° 99 de tirage dans le canton de Massat.
5* Fusils Dreys tirant des
balles de 13.5m/m, ou d’un calibre de 15.4m/m ! Les français étaient munis
de fusils Chassepot mdle 1866, balles de 11,5m/m. (Actuellement le fusil
d’assaut français Fa-mas a un calibre de 5.56m/m – sans commentaire sur la
précision et « l’efficacité » qui sont inversement proportionnelles à
la grosseur du calibre.
6* Cuirasse composée d’une double cuirasse (devant et dos, ce dernier étant moins épais) et d’un plastron pour un poids total de 7 Kg.
7* Mon arrière grand-père parlait de 8 ou 9 hommes de son régiment, d’autres sources 14 ou17, mieux une cinquantaine à la sortie de Morsbrönn. Toutefois n’oublions pas les lanciers, peut-être que les uns parlent uniquement des cuirassiers et les autres tous corps confondus. Avec prudence, voici retranscrit un état général des pertes du 9ième : sur 500 hommes il y aurait eu, en moins de deux heures, 370 tués, blessés, disparus et 340 chevaux tués (pour ces derniers je ne sais pas comment ils ont pu obtenir ce nombre, possible au demeurant) de toute manière il avait raison : « Puto … »
6* Cuirasse composée d’une double cuirasse (devant et dos, ce dernier étant moins épais) et d’un plastron pour un poids total de 7 Kg.
7* Mon arrière grand-père parlait de 8 ou 9 hommes de son régiment, d’autres sources 14 ou17, mieux une cinquantaine à la sortie de Morsbrönn. Toutefois n’oublions pas les lanciers, peut-être que les uns parlent uniquement des cuirassiers et les autres tous corps confondus. Avec prudence, voici retranscrit un état général des pertes du 9ième : sur 500 hommes il y aurait eu, en moins de deux heures, 370 tués, blessés, disparus et 340 chevaux tués (pour ces derniers je ne sais pas comment ils ont pu obtenir ce nombre, possible au demeurant) de toute manière il avait raison : « Puto … »
8* Sur le livret militaire de mon
arrière-grand-père, la cuirasse a une
durée de vie de 50 ans.
Compte tenue de ce qui parait sur l’autre page tout est payant : paire de sabot : 0,75f, un balai : 0.25f, étamage de gamelle : 0.20f, un vis en fer trempé : 0.05f, jusqu’à réparer la bouche mutilée : 0.10f, un ressemelage : 4.90f, un pantalon de treillis : 4.60f, un caleçon : 2.50f, un carreau (cassé sans doute) : 0.40f, un étamage de gamelle 0.20f, une paire de bottes 18.00f. Toutefois il percevait une solde dont le prix de la journée était de : 0.14f. Ainsi en regardant ce livret, le pauvre homme était toujours en dette vis-à-vis de l’État. Par exemple au 2ième trimestre 1873 il devait : 37.12 francs !
9* En fait cette anecdote m’avait
été rapportée par mon oncle Edmond Parayre, quand enfant et en vacances l’été à
Coutens dans l'Ariège, je l’accompagnais pour garder les bœufs. Il m’évoquait ses
souvenirs de militaire lorsqu’il était chasseur à cheval ainsi que des combats contre
la cavalerie allemande durant la guerre 14-18 (porté disparu alors que fait
prisonnier, il avait été envoyé à travailler dans des fermes en Allemagne).
Il me racontait qu’au moment de l’incorporation des recrues dans la cavalerie, en principe des jeunes issus des fermes habitués aux animaux, on les informait ainsi : « chez vous, c’est vous qui commandiez aux chevaux, ici ce sont les chevaux qui vous commandent » et me disait-il, c’étaient de sacrés roublards toujours prêts à te jouer un mauvais tour si tu n’étais pas sur tes gardes, le pire c’est toujours à eux que les supérieurs donnaient raison.
Il me racontait qu’au moment de l’incorporation des recrues dans la cavalerie, en principe des jeunes issus des fermes habitués aux animaux, on les informait ainsi : « chez vous, c’est vous qui commandiez aux chevaux, ici ce sont les chevaux qui vous commandent » et me disait-il, c’étaient de sacrés roublards toujours prêts à te jouer un mauvais tour si tu n’étais pas sur tes gardes, le pire c’est toujours à eux que les supérieurs donnaient raison.
Pour
revenir à l’anecdote, il me précisait que lors de combats, les chevaux étaient
aussi méchants, fous que les hommes, ils se mordaient, bousculaient, ruaient
alors que les hommes se sabraient.
C’est
également lui qui me décrivait que bon nombre de trompettes avaient les
incisives cassées par le choc avec l’embouchure de l’instrument lors de
sonneries pendant les exercices (charges ou courses en terrain accidenté).
De
même il me racontait que combattre avec les lanciers de son camp n’était pas
sans risque car les mouvements des lances et ceux des chevaux faisaient que les
hampes causaient bien des blessures au visage des camarades qui étaient à
proximité. (En 1870 une lance pèse environ 2.2 kg et mesure environ 2.84 m, en bois de frêne avec un sabot en métal servant de
garniture à l'extrémité de la hampe et de contrepoids au fer de la lance).
Un jour il me confia : « Celui qui a
inventé le couteau ou le sabre n’a dû jamais s’en servir » voulant faire
référence aux affreuses blessures, mutilations et douleurs provoquées par ces
armes.
10* Adieu mon Pays, adieu mon Ariège, adieu mes frères, adieu mes parents.
Debout … tu es prisonnier … lève-toi … vite
Debout … tu es prisonnier … lève-toi … vite
11* Rapporté par ma grand-mère, je
ne me souviens plus des autres endroits hormis « qu’il est allé loin pour
l’époque »
.
.
En fait voici ce que rapporte l’état de
service du congé de réforme établi à Toulouse le 17 avril 1879 :
" Incorporé à compter du 5 septembre 1867, comme appelé inscrit sous le n° 240 de la liste du contingent de département de l’Ariège (cl. 1866) arrivé au corps le 7 septembre 1867 – Cuirassier de 2ième classe le 7 septembre 1867 – Cuirassier de 1ière classe le 26 juillet 1871 – A reçu un certificat de bonne conduite - Classé dans l’armée territoriale en exécution de l’art. 77 de la loi du 27 juillet 1872 – Train d’artillerie.
Campagnes :
France du 17 juillet 1870 au 6 aôut 1870.
Prisonnier de
guerre du 6 aôut 1870 au 10 juillet 1871.
Réformé avec
congé n°2 par la commission spéciale de la subdivision de Toulouse le 17 avril
1879.
A déclaré se
retirer à Massat, canton du dit, département de l’Ariège."
_____________
Pourquoi ce
récit ?
il s’agit de l’histoire d’un homme ordinaire, simple, qui
déteste la guerre (puto de guerre…) mais
subissant la conscription de l’époque il se trouve, là, (Que faye aqui…) assis sur un cheval un
sabre à la main. Depuis le matin l’adrénaline monte et maintenant, dans
l’immédiat, avec peur, il sait qu’il va être entrainé inéluctablement vers un
destin qui lui échappe : Vie ? Blessures corporelles et ou
mentales ? Mutilation ? Mort ?
Au cours de sa chevauchée Il connaitra la haine mais aussi la
compassion (… nous
y voyons le reflet du nôtre…), sera jeté à terre (…adiou…) puis
asservi (…à la merci des prussiens …) .
Ce n’est que plus tard, mais avec une profonde émotion (…les yeux humides et la voie enrouée…) qu’il
découvre une nouvelle compréhension, celle de la fraternité des Hommes (Mutter, Maman).
C’était notre aïeul, nous a-t-il transmis et avons-nous
su comprendre et garder trace de sa haute analyse sur l’humanité perçue à
l’issue de terribles épreuves ?
____________
Toutefois
il est bon de rapporté les propos suivants qu’a bien voulu me préciser, après
sa lecture de l’exposé, un de mes amis , lui-même
arrière petit neveu d’une personne citée dans le texte, ils me semblent fournir
la meilleure des conclusions :
« ….Même si loin du théâtre des
opérations, les massatois furent foncièrement patriotes dés Valmy et les
guerres du premier empire. Dans l'esprit de nos ancêtres la dimension
guerrière de l'éthique nationale, l'emportait sur toute considération
politique...
Sans pour autant, comme ton arrière grand père mésestimait
l'horreur des combats, on ne parvenait pas à l'époque à en concevoir l'absurdité.
Mais, et c'est un lieu commun, l'Histoire ne se répète pas,
elle bégaie !...»